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D’entrepreneur à entrepreneur – Kristine Steuart, cofondatrice d’Allocadia : comment encourager les femmes à diriger et faire croître des entreprises technologiques

Hugues Lalancette, associé chez Inovia, s’est récemment entretenu avec Kristine Steuart, ancienne cheffe de la direction et cofondatrice d’Allocadia et entrepreneure en résidence chez Inovia, pour discuter de son parcours en tant que femme entrepreneure en technologie. En tant que cofondatrice d’Allocadia  avec sa sœur Katherine Berry, Kristine a partagé les apprentissages réalisés tout au long de son parcours et sa vision de comment nous pouvons inspirer plus de femmes à créer et développer des entreprises technologiques. Son objectif ultime est de permettre à un plus grand nombre de femmes d’assumer des rôles de leadership dans l’industrie et de développer de solides entreprises qui stimulent l’innovation et créent de la valeur pour leurs clients, tout en favorisant une culture d’équipe saine et en obtenant des résultats fructueux.

Éliminer l’écart entre les sexes dans la création d’entreprises technologiques

Bonjour, Kristine! C’est un plaisir de te recevoir aujourd’hui. Pour commencer, peux-tu nous parler des perspectives que tu as observées quant à la sous-représentation des femmes fondatrices en  technologie et sur la façon dont nous pouvons travailler à résoudre ce problème?

Pour aborder le problème de la sous-représentation des femmes dans l’industrie, je pense qu’il est utile de décomposer la question en examinant les différentes étapes de la création d’une entreprise. Celles-ci comprennent la première phase de création d’une entreprise, la deuxième phase qui vise à obtenir une traction initiale du produit, à acquérir des clients et à obtenir un financement initial, et la troisième phase d’expansion de l’entreprise. En examinant chaque phase, nous identifions les défis et les leçons apprises, et prenons des mesures pour soutenir et encourager davantage de femmes à créer et à faire croître des entreprises technologiques.

Phase 1 : le lancement de l’entreprise

L’une des raisons pour lesquelles de nombreuses femmes n’osent pas se lancer et créer leur entreprise est ce que j’appelle l’écart de confiance. Ce manque de confiance chez les femmes est bien documenté et quantifié. Des études montrent qu’entre 8 et 14 ans, le niveau de confiance des filles diminue de 30 % et reste inférieur à celui des garçons jusqu’à l’âge de 40 ans, moment où les niveaux de confiance des deux sexes se rejoignent.

Il s’avère que la confiance en soi est cruciale au travail. Comme le définit le livre The Confidence Code, la confiance ne se résume pas à ce que nous ressentons à propos de nous-mêmes ; elle transforme nos pensées en actions! La confiance est un choix que nous faisons d’agir, de faire et de décider. En bout de ligne, elle a un impact sur notre capacité à faire la différence et est essentielle pour atteindre nos objectifs, y compris la création d’une entreprise.

Le livre explique également que les différences entre les sexes résultent d’une combinaison de facteurs impliquant à la fois la nature et l’éducation. Les différences biologiques dans la structure du cerveau sont un des facteurs : les femmes ont tendance à avoir plus de matière cérébrale dans le cortex frontal et limbique, associé au raisonnement et aux émotions, tandis que les hommes ont tendance à avoir une matière cérébrale plus uniformément répartie dans tout le cerveau, ce qui suggère des différences liées au sexe dans le traitement de l’information. Bien que ces différences puissent apporter de la valeur, notamment en offrant diverses perspectives, des études ont suggéré qu’elles peuvent résulter en un désavantage pour les femmes au travail, les poussant à éviter certains comportements critiques en affaires, tels que la prise de risques ou la possibilité de commettre des erreurs.

De plus, bien que les processus cognitifs liés à la prise de risques et à l’erreur puissent être en partie dus à des différences biologiques, ils sont complexes et ne sont pas uniquement déterminés par la biologie. Les facteurs sociaux et culturels jouent également un rôle important dans la façon dont les individus abordent le risque.

L’essentiel est de reconnaître ces variables naturelles et culturelles, d’en être conscient et d’y remédier le cas échéant. L’une des façons pour les femmes d’y parvenir est de passer à l’action lorsqu’elles sentent que quelque chose les arrête. Selon mon expérience, bâtir sa confiance en soi est un cheminement qui exige d’apprendre, de grandir et d’agir. Les femmes peuvent développer leur confiance au fil du temps et prendre conscience des situations où leur manque de confiance les empêche de faire un grand pas vers l’avant, tel que lancer une entreprise. 

Phase 2 : l’acquisition des premiers clients

Il est important de rappeler aux femmes que leurs qualités de leadership sont un atout à ce stade du développement d’entreprise et qu’elles peuvent les aider à créer une base solide pour leur compagnie. Des études ont montré que les femmes se distinguent par des qualités de leadership telles que l’empathie, l’épanouissement personnel et l’intégrité. Ces traits de caractère sont très utiles pour gagner vos premiers clients. En écoutant, en établissant des liens et en développant l’empathie avec vos clients, vous pouvez créer des solutions gagnant-gagnant qui répondent à leurs objectifs. L’approche d’Allocadia, centrée sur le client, a été la clé de notre succès initial. Nous comprenions parfaitement les problèmes de nos clients et avons travaillé en étroite collaboration avec eux à la création de notre premier produit.

Cette étape présente également un défi. Une fois que la clientèle est gagnée, il devient possible de lever des fonds. Cependant, seuls 2 % des dollars de capital de risque sont investis dans des entreprises fondées par des femmes – et cette statistique ne s’est pas améliorée au cours des dix dernières années ! Par ailleurs, la Covid19 a touché de manière disproportionnée les femmes fondatrices. Il existe des recherches bien documentées sur les préjugés auxquels les femmes sont confrontées lorsqu’elles lèvent des fonds. Les investisseurs peuvent poser des questions sur le risque versus l’opportunité, sous-estimer la taille du marché ou mettre en doute la capacité des femmes à exécuter. Il est important d’être informée et consciente de ces préjugés, et de les aborder de front dans vos présentations et votre processus. Par exemple, répondez aux questions sur les risques, mais rappelez rapidement aux investisseurs l’opportunité du marché et la valeur que vos clients en retirent. Nous avons levé 30 M$ en tout chez Allocadia, et l’un des fondements essentiels a été la démonstration d’une grande opportunité de marché et d’une forte valeur ajoutée pour les clients.

Phase 3 : la croissance de l’entreprise

À ce stade du développement de l’entreprise, les femmes sont souvent confrontées à ce que j’appelle le biais « opérateur » par opposition au biais « visionnaire ». Il est plus fréquent que les leaders masculins en technologie soient perçus comme des visionnaires (un exemple peut être observé dans l’introduction de cette vidéo, où seuls des visionnaires masculins sont mentionnés) et que les femmes leaders soient perçues comme étant davantage axées sur les opérations. Je crois que pour être un grand leader et dirigeant d’entreprise, il faut être les deux. HBR a publié un excellent article sur la dualité exigée des dirigeants, qui souligne l’un des traits essentiels du leadership, à savoir le fait d’être un « exécutant stratégique ». Pour soutenir les femmes dirigeantes et leur donner les moyens d’agir, nous devons célébrer la force de l’expertise opérationnelle en tant que moteur clé de la croissance d’une entreprise, tout en reconnaissant que le leadership visionnaire est tout aussi important. Ces qualités ne s’excluent pas mutuellement, mais doivent plutôt coexister et se compléter chez un grand dirigeant. En valorisant à la fois le leadership opérationnel et le leadership visionnaire, nous pouvons créer un environnement plus inclusif et plus fructueux pour les entreprises, au bénéfice de tous.

La bonne nouvelle, c’est que le monde d’aujourd’hui valorise plus que jamais les opérateurs. Nous avons besoin de personnes capables de gérer intelligemment tout en favorisant l’innovation et la croissance. S’il n’est peut-être pas nécessaire de qualifier les femmes de « visionnaires », il serait certainement bénéfique de reconnaître leurs qualités de leadership visionnaire, comme nous le faisons pour leurs homologues masculins.

Merci Kristine, ce sont d’excellentes pistes pour les femmes qui cherchent à bâtir des entreprises technologiques. As-tu également des conseils à donner aux membres des conseils d’administration et aux investisseur·e·s qui cherchent à soutenir les fondatrices?

Je pense à un excellent article de HBR intitulé « What’s Really Holding Women Back? », qui souligne le problème de la surcharge de travail comme un obstacle important pour les femmes en milieu de travail, entraînant des niveaux inférieurs d’engagement, de satisfaction et de productivité. Les auteurs affirment que ce problème touche aussi bien les femmes que les hommes, mais que les femmes sont souvent touchées plus négativement en raison des attentes de la société concernant les rôles des deux sexes. Par conséquent, pour soutenir les fondatrices, les membres du conseil d’administration et les investisseur·e·s doivent reconnaître l’importance de l’harmonie entre travail et vie privée pour tous les employés et œuvrer activement à la création d’une culture qui valorise le bien-être et la flexibilité. Il peut s’agir de mettre en œuvre des politiques telles que les congés familiaux rémunérés, d’offrir des options de travail à distance et de promouvoir une culture d’entreprise plus inclusive et plus favorable. Par ailleurs, les investisseur·e·s  peuvent rechercher et investir dans des entreprises qui accordent la priorité à ces valeurs et soutiennent des initiatives visant à réduire l’écart entre les hommes et les femmes en matière de leadership et d’entrepreneuriat. En créant un environnement de travail plus inclusif et équitable, nous pouvons augmenter les chances de succès des entreprises technologiques dirigées par des femmes et favoriser un écosystème de startups plus diversifié et prospère.

Propulser la croissance d’une entreprise : l’importance d’une exécution solide et du modèle d’exécution des revenus

Penchons-nous sur un sujet qui te tient à cœur, à savoir l’importance d’établir des bases solides pour les entreprises. Tu as souligné l’importance de bien comprendre ce qu’implique une bonne exécution pour qu’une entreprise puisse se développer avec succès. Peux-tu nous en dire plus à ce sujet?

Bien qu’il existe de nombreuses ressources sur la manière de définir la stratégie d’une entreprise, il y a un manque flagrant de recommandations quant à l’exécution de cette stratégie et à ce que signifie une bonne exécution. L’exécution est essentielle, et sans elle, il est impossible de concrétiser une stratégie.

On croit à tort que de se concentrer sur l’exécution, y compris sur les détails spécifiques relatifs à la mise en œuvre de la vision et de la stratégie, signifie être trop axé sur les détails – pensez au biais « opérateur »! Selon mon expérience, les grand·e·s chef·fe·s d’entreprises comprennent l’importance d’entrer dans les détails, en particulier lorsqu’ils sont à un stade de transformation ou de changement important de l’entreprise. Au cours de ces périodes critiques de changement, le·la chef·fe d’entreprise et l’équipe de direction doivent s’intéresser de près aux mécanismes de l’entreprise afin de mettre en place les éléments fondamentaux qui soutiendront sa croissance à long terme. Il est pour ainsi dire essentiel de comprendre comment fonctionne votre moteur. Il n’est pas nécessaire d’être toujours au courant, mais savoir quand plonger dans les détails permet aux grands dirigeants et aux équipes de direction de se démarquer.

Peux-tu nous en dire plus sur le modèle d’exécution des revenus que tu es en train de construire et sur la manière dont il peut aider les chef·fe·s d’entreprise et les fondateur·rice·s dans le monde d’aujourd’hui?

Pour mieux illustrer ce qu’est une bonne exécution, nous avons développé un modèle d’exécution des revenus. Ce modèle se concentre spécifiquement sur la croissance de votre moteur de revenus. Il n’est pas révolutionnaire dans le sens où il identifie les composants d’un moteur de revenus que nous connaissons tous et dont nous discutons fréquemment. Cependant, nous les avons regroupés et ordonnés de manière logique, nous avons identifié ce à quoi ressemble une bonne ou une mauvaise exécution, et nous les avons mis par écrit.

Ce modèle permet au·à la chef·fe d’entreprise et à l’ensemble de l’équipe dirigeante de s’évaluer et de se situer par rapport à chaque élément du moteur. Sur la base de leur position actuelle, ils peuvent alors établir des priorités quant aux éléments du moteur à développer. Il s’agit moins de savoir si le·la chef·fe d’entreprise est au courant que de savoir si l’ensemble de l’équipe dirigeante sait comment mettre en œuvre la stratégie et si elle le fait de manière efficace. Ce modèle permet aux équipes dirigeantes d’exécuter avec une extrême clarté et de réévaluer la stratégie de leur entreprise en fonction des résultats.

Cette discussion a été très intéressante et tombe à un moment opportun, car les entreprises doivent aujourd’hui se concentrer sur la réalisation de leurs buts et objectifs avec précision. Le modèle leur fournit une structure qui leur permet de se concentrer sur les aspects contrôlables de leur entreprise, ce qui se traduit par de meilleurs résultats. Merci, Kristine, pour cet échange instructif et pour les précieux conseils que tu nous as offerts!

Merci, Hugues! Je crois sincèrement que par la sensibilisation et l’action dans ces domaines, nous pouvons faire la différence pour les femmes fondatrices et les entreprises. Qu’il s’agisse de fondatrices traçant une nouvelle voie ou de la communauté qui les entoure, les femmes ont leur place dans le monde de la technologie et y apportent des atouts uniques. Je suis enthousiaste à l’idée de voir comment notre nouveau modèle d’exécution des revenus pourra aider les entreprises à atteindre leurs objectifs.

Pour profiter de l’expertise de Kristine ou en apprendre davantage sur le modèle d’exécution des revenus, contactez-nous.