Nous devrions être fiers d’être Canadiens. Selon le classement général 2023 des meilleurs pays établi par U.S. News et mesurant les performances mondiales sur dix critères, le Canada est le deuxième meilleur pays au monde, juste derrière la Suisse. Il y a de quoi être fiers, n’est-ce pas ?
En réalité, nous récoltons les fruits des investissements des générations précédentes dans les ressources et les infrastructures. Tous ceux qui possèdent une maison savent qu’il faut constamment investir dans son entretien et sa rénovation pour en conserver la valeur. Il n’est pas clair qu’au cours des dernières décennies, nous ayons correctement « entretenu notre maison », si l’on peut dire ainsi. Malheureusement, nous commençons à voir des fissures dans certains murs, voire dans les fondations.
De nombreuses sources sonnent l’alarme concernant notre situation actuelle et les perspectives de prospérité future. La plupart des titres récents indiquent que le Canada semble perdre son avantage, son dynamisme économique :
- Notre propre Banque du Canada nous rappelle que nous perdons dangereusement du terrain en termes de productivité, ce qui affectera notre niveau de vie.
- Le dernier rapport de l’OCDE met en lumière des problèmes réels concernant l’innovation, les investissements et la productivité des entreprises au Canada. Le rapport souligne que « la croissance terne de la productivité depuis 2015 a creusé les écarts de PIB par habitant entre le Canada et les économies plus performantes ». Le dernier rapport de l’OCDE prévoit que le Canada sera le pays membre (avancé) le moins performant au cours des prochaines décennies, en termes de PIB réel par habitant.
Nous devrions prendre note de ces sérieux signaux d’alarme. Pourtant, malgré cela, nous pensons que le Canada a tranquillement mis en place la plupart, sinon l’ensemble, des ingrédients clés qui lui permettront de devenir une véritable puissance mondiale en termes de prospérité économique au cours de la prochaine décennie.
S’éloignant de sa dépendance historique aux ressources naturelles, l’avenir de la création de richesse est désormais ancré dans la technologie, tant au niveau des industries traditionnelles qu’en innovation. En fait, la richesse d’aujourd’hui appartient aux entreprises technologiques de la Silicon Valley, avec les succès bien connus de Google, Meta, Apple et autres. Le chapitre Internet est désormais terminé et a permis de créer une richesse et une prospérité spectaculaires pour les États-Unis.
En 2023, sept des dix plus grandes entreprises du monde en termes de capitalisation boursière étaient des entreprises technologiques basées aux États-Unis… Certaines ayant une capitalisation de plus de 25 fois supérieure à celle des plus grandes entreprises industrielles en 1994 (voir le graphique ci-dessous). Même corrigés en fonction de l’inflation, ces chiffres démontrent clairement l’incroyable effet de levier des industries technologiques pour créer une très grande valeur (graphique en anglais).
En outre, le monde entre maintenant dans une toute nouvelle phase d’innovation en matière de technologie avec les dernières percées dans les domaines de l’IA et des sciences de la vie. Ces nouveaux domaines n’en sont qu’à leurs débuts et la course à la suprématie a déjà commencé.
On ne sait pas encore qui en seront les gagnants, mais il est évident que les entreprises américaines cherchent à protéger leur leadership.
À l’insu de la plupart des Canadiens, le Canada s’est doté, au cours des 30 dernières années, d’avantages structurels étonnants dans le secteur des technologies en général, et de l’IA en particulier :
- Le Canada est un leader mondial dans la recherche sur l’IA. Des noms comme Geoff Hinton, Joëlle Pineau, Yoshua Bengio et Aidan Gomez, pour ne citer que ceux-ci, peuvent être considérés comme des chefs de file. En fait, le Canada possède le plus grand nombre de publications sur l’IA par habitant, et il abrite un grand nombre des meilleurs chercheurs en IA au monde.
- Nos universités et nos centres de recherche continuent d’attirer et de développer les meilleurs talents au monde. McGill, UWaterloo, UBC et les instituts Mila et Vector ne sont que quelques-uns des centres remarquables où gravitent les meilleurs universitaires de la planète. Et les faits parlent d’eux-mêmes : depuis 2020, le taux de croissance des talents technologiques au Canada (16 %) a dépassé celui des États-Unis (11 %). Cette immigration de talents brillants a été soutenue par une stratégie d’immigration canadienne attrayante.
- Nous bénéficions d’un écosystème commercial et technologique en pleine maturation. L’époque où les entrepreneurs canadiens devaient s’exiler aux États-Unis pour réussir est révolue. Au cours des vingt dernières années, le Canada s’est efforcé de mettre en place un système de soutien solide pour permettre aux entrepreneurs de rester au pays et d’y développer leurs activités. Des entreprises comme Shopify, Opentext, Constellation, Cohere et Lightspeed Commerce sont de parfaits exemples de cette réussite, au même titre que d’anciens champions comme Nortel, Newbridge et RIM/BlackBerry.
Ces dirigeants et leurs investisseurs ont maintenant bâti une machine bien huilée où les entrepreneurs prospères réinjectent des capitaux dans le système en encourageant le lancement de nouvelles entreprises, en soutenant une nouvelle génération d’entrepreneurs et en lançant ou en participant à des fonds d’investisseurs providentiels et à des fonds de capital de risque qui alimentent encore davantage l’innovation et la prise de risque.
En outre, d’autres organisations et programmes importants contribuent à l’effet d’entraînement, qu’il s’agisse du programme Co-op de l’université de Waterloo, d’incubateurs tels que le Creative Destruction Lab (CDL) et la Venture Capital Catalyst Initiative (VCCI), ou des incitations fiscales à la recherche scientifique et au développement expérimental (SR&ED).
Tout cela est très prometteur. Maintenant que la roue tourne, nos gouvernements et nos institutions doivent prendre des mesures concrètes pour accélérer notre élan, tirer parti de nos avantages concurrentiels et nous assurer une position de leader au cours de la prochaine décennie.
Une étape cruciale consiste à inciter les fonds de pension canadiens (notre propre argent) à investir activement dans les secteurs de la technologie et de l’innovation via les firmes de capital de risque, qui bâtiront les champions mondiaux de demain et créeront la richesse à laquelle nous aspirons.
La vérité est qu’à l’exception notable du Québec et de l’Alberta, la plupart des grands fonds de pension canadiens ont évité de soutenir l’écosystème canadien du capital de risque, se cachant derrière un principe d’indépendance et derrière l’argument selon lequel leur seule mission serait de maximiser les rendements (à court terme). En conséquence, les plus grands fonds de pension ont davantage investi en Chine qu’en actions canadiennes publiques et privées1. Si les grands projets d’infrastructure sont plus facilement accessibles aux investisseurs étrangers, il n’en va pas de même pour l’industrie technologique. Il s’agit là d’une énorme opportunité manquée pour le Canada.
L’investissement technologique est très (très très) efficace en termes de capital. Un montant minime de nos plus grands fonds de pension investi dans notre programme d’innovation nous donne la possibilité d’avoir un impact vraiment disproportionné sur la création de richesse dans notre propre pays. N’oublions pas que ce sont de minuscules investissements dans Apple et Google, il y a 25 ans, qui ont rapporté des billions de dollars et d’innombrables emplois à l’économie américaine et à ses investisseurs (des firmes de capital de risque américaines principalement soutenues par des fonds de pension américains).
Bref, il s’agit de construire un patrimoine à long terme plutôt que d’entretenir une vision à court terme, avec des investissements très efficaces en termes de capital.
En parlant de vision à court terme, nous devons prendre un moment pour commenter la récente augmentation de l’impôt sur les gains en capital prévue dans le budget fédéral. Nous sommes tous d’accord avec le fait que nous avons besoin d’un système fiscal équitable. Mais avec les dernières mesures annoncées par les gouvernements sur la taxation des gains en capital, nous taxons l’innovation, impactons la productivité, ralentissons notre propre moteur et mettons un frein à une grande partie du travail accompli jusqu’à présent. En d’autres mots, nous encourageons les gens à déménager et à investir au sud de la frontière, le plus grand marché du monde, où nos impôts sont désormais non compétitifs dans de nombreux états. Les meilleurs fondateurs sont intelligents et, comme les capitaux, ils se dirigent vers les endroits les plus propices à la création de leur entreprise. Il faut reconnaître qu’il s’agit d’une erreur et nous recommandons de revenir à un système fiscal qui favorise l’innovation et l’esprit entrepreneurial.
La plupart des Canadiens sont profondément attachés à notre « modèle canadien » de capitalisme plus soft et plus juste. Et ce, pour toutes les bonnes raisons que nous connaissons. Les Canadiens sont généralement fiers de payer leurs impôts, mais attendent en retour un gouvernement compétent et efficace. Certains se chargeront d’évaluer si nous avons ce gouvernement compétent et efficace en place, mais il est clair pour tous que nous ne pouvons pas taxer la création de richesse et la prospérité.
D’une certaine manière, nous sommes vraiment à la croisée des chemins en termes d’agenda économique. Au cours des dernières décennies, de nombreux individus, organismes et programmes brillants et dévoués ont jeté les bases de la prochaine génération d’innovations technologiques canadiennes. Grâce à tous les pionniers qui ont investi avant nous pour créer ce tremplin technologique, nous bénéficions aujourd’hui d’atouts extraordinaires et d’une chance d’accéder à la prochaine industrie d’un milliard de dollars.
Ce sont des atouts que nous pouvons exploiter pour créer la prospérité économique à laquelle nous aspirons, dans le contexte de notre modèle canadien unique. Les recommandations sont claires : il est temps d’investir en nous-mêmes et de prendre la balle au bond. Carpe Diem !
Adapté du National Post / 1. Lettre ouverte de LetkoBrosseau