Pourquoi essayons-nous de prévoir l’imprévisible? J’ai trouvé deux réponses intéressantes à cette question.
Dans ce billet, nous verrons comment effectuer des prévisions qui sont véritablement exploitables. Jetons d’abord un coup d’œil aux principes généraux de la formulation de prévisions avant de passer à l’aspect tactique.
Principes généraux des prévisions
1. Miser sur la simplicité : se limiter aux cibles de croissance et de consommation des liquidités
Vous avez tout à gagner en limitant le nombre de cibles : au lieu d’en établir entre cinq et dix, concentrez-vous sur les deux plus importantes. Lorsque vous faites vos prévisions, mettez vos cibles de croissance et de consommation des liquidités bien en évidence dans votre tableau sommaire. Sous ces deux cibles, présentez un aperçu général de la situation en employant un nombre limité de mesures significatives. Nous reviendrons sur cette idée dans les modèles présentés plus loin.
2. Ne pas se projeter trop loin : privilégier un horizon d’un an ou moins
Au-delà d’un horizon d’un an, les prévisions ne valent plus grand-chose. À mon avis, même les jeunes entreprises en phase de croissance (séries B à D) devraient privilégier les prévisions sur un an et, passé cet horizon, miser sur l’analyse de sensibilité, notamment en mettant leurs hypothèses descendantes à l’épreuve. Par exemple : quelle est la quantité de liquidités nécessaire pour générer X M$ en recette supplémentaires si le coût est deux fois supérieur aux attentes?
Peter Gassner de Veeva a appliqué ce principe avec brio. Durant la première année, la direction de Veeva a délibérément restreint ses prévisions à un trimestre. À quoi bon se projeter plus loin quand on ignore encore si le produit répond aux besoins du marché? Puis, à mesure que l’entreprise évoluait, la direction a progressivement prolongé l’horizon des prévisions. Aujourd’hui, après son PAPE, elle établit des plans triennaux.
3. Complexité et prévisions à long terme ne font pas bon ménage
Plus le nombre de variables prévisionnelles est élevé, plus la probabilité que toutes les variables soient exactes s’approche de zéro. L’important, c’est que les prévisions portent sur des données importantes pour votre entreprise et visent une période raisonnable.
4. Tenter de prévoir la réalité
Ce conseil de mon collègue Dan Freedman me fait sourire à tout coup. Ce qu’il veut dire, c’est que les prévisions doivent s’appuyer sur des faits réels. En effet, il est beaucoup plus utile de faire des prévisions à partir de comportements observés que de formules théoriques. Lorsque vous établissez vos hypothèses, ne vous fiez pas seulement aux chiffres, et essayez de les interpréter en fonction de vos observations (notamment sur le plan de l’adhésion des utilisateurs, des entonnoirs d’acquisition, de la rétention et des employés).
Par exemple, il vaut mieux se fier aux données empiriques que sont les marges sur coût variable après un an et trois ans et la valeur à vie du client qu’à des formules courantes afin de calculer le temps requis pour récupérer le coût d’acquisition de clients. Les observations sont également très utiles pour les évaluations internes de l’entreprise. Par exemple, les données recueillies sur la productivité du personnel de vente (comme le délai d’intégration des nouveaux vendeurs et l’atteinte des quotas) ou sur la vitesse à laquelle votre service à la clientèle traite les demandes (comme la proportion du nombre total d’appels traités en deux minutes) peuvent influencer vos hypothèses à ce sujet.
5. Fournir du contexte grâce aux données sur le rendement passé
Intégrez toujours des données sur le rendement passé dans vos prévisions afin de mettre les choses en perspective et de commenter les tendances importantes (comme la croissance, la rentabilité du capital, la rentabilité des investissements en vente et marketing et la marge brute). Par exemple, lorsque vous préparez vos prévisions pour 2019, essayez d’inclure les données réelles de 2016, 2017 et 2018 (ou les données réelles recueillies à ce jour), présentées *dans le même format* que celui du sommaire des prévisions.
6. Privilégier les cibles à atteindre pour le prochain tour
Pour les jeunes entreprises, la vie n’est pas un long fleuve tranquille. Elle se compose au contraire d’une série d’obstacles à surmonter avec détermination en vue du prochain tour de financement. Il s’agit toutefois d’une occasion en or d’obtenir de précieux conseils de vos investisseurs : demandez-leur quelles sont les cibles à privilégier pour votre prochaine ronde.
Il existe deux possibilités pour les entreprises en démarrage : soit elles peuvent recevoir du CR, ce qui nécessite une croissance élevée, soit elles ne peuvent en recevoir, auquel cas elles doivent prendre des mesures pour atteindre le seuil de rentabilité ou redevenir admissibles à du CR. Dans les deux cas, les prévisions doivent porter sur un ensemble de cibles sur un horizon donné.
7. Gérer les prévisions de façon dynamique
L’ironie des prévisions, c’est que dès qu’elles sont achevées, la réalité a tôt fait de les contredire (en bien ou en mal). Outre l’utilisation de données empiriques pour établir les hypothèses, la fiabilité de vos prévisions dépend de votre capacité à mesurer les écarts de façon dynamique et à prendre les mesures qui s’imposent.
8. Utiliser des tableaux pour mettre l’analyse des scénarios en perspective
Une fois que vous avez établi votre scénario de référence et des cibles de croissance et de consommation des liquidités claires, il est utile de modéliser deux autres scénarios : i) un taux de croissance deux fois plus élevé que celui du scénario de référence (ou, à tout le moins, un taux de croissance qui vous place dans le premier quartile pour votre secteur), car cela vous force à repérer les goulots d’étranglement et les points faibles de votre modèle; ii) un plan d’atteinte du seuil de rentabilité, afin de clarifier les mesures à prendre pour atteindre la rentabilité avant l’épuisement de liquidité (à noter que la simple réalisation de cet exercice peut vous éviter d’avoir à prendre de telles mesures).
Intégrez ces trois scénarios dans un même graphique, où le taux de croissance et les réserves de liquidités dans chaque scénario sont présentés sous forme de lignes (vous aurez donc six lignes, deux pour chacun des trois scénarios).
9. L’analyse comparative est utile, mais a des limites
Il existe des ressources génériques d’analyse comparative pour les entreprises de SaaS et les marchés en ligne. Il est toutefois facile de se « cacher » derrière l’analyse comparative et d’ignorer les détails propres à un modèle d’affaires ou un secteur donné. C’est d’autant plus vrai pour les marchés en ligne, étant donné la grande variété des modèles d’affaires dans cette catégorie.
Par exemple, si vous exploitez une entreprise de SaaS et que vous tentez de déterminer ce qui constitue un « bon » taux de rétention nette, vous pourriez faire comme les autres et viser 110 %. Mais est-ce vraiment utile de comparer votre entreprise à d’autres évoluant dans un tout autre secteur? Une bonne façon de répondre à cette question serait d’abord d’examiner vos cohortes, puis de calibrer l’analyse en fonction de points de références propres à votre secteur (ou, à tout le moins, de sociétés ouvertes comparables).
10. La prévoyance et encore la prévoyance
On n’insistera jamais assez sur la prévoyance. Lorsque vous serez habile à détecter les écarts par rapport aux prévisions (en commençant par les prévisions trimestrielles avant la série B, puis en passant aux prévisions mensuelles et hebdomadaires), vous pourrez adopter une habitude très utile, soit évaluer les implications de ces écarts pour le prochain trimestre et le reste de l’exercice. Pour ce faire, vous pouvez utiliser un graphique en cascade illustrant les prévisions initiales pour le trimestre en cours et pour le reste de l’année.
Tableau sommaire des prévisions
Quelques remarques au sujet des modèles présentés ci-dessous :
● Les tableaux sommaires des prévisions ne se veulent pas un tableau de bord des indicateurs de rendement clé (comme celui-ci ou celui-ci), qui mettent en lumière les indicateurs sous-jacents de la santé d’une entreprise. Ils servent plutôt à présenter clairement à la direction et au conseil d’administration les cibles de croissance et de consommation des liquidités établies.
● Dans l’un des onglets du tableau, définissez toutes les mesures que vous estimez utiles sous la croissance et la consommation des liquidités.
● Les hypothèses qui soutiennent vos prévisions doivent être facilement vérifiables. Insérez des notes de bas de page et des commentaires au besoin. Si vous pensez être le seul capable de comprendre une valeur, il est préférable de la définir.
1. Exemple de tableau sommaire des prévisions pour une entreprise de SaaS
2. Exemple de tableau sommaire des prévisions pour un marché en ligne
3. Exemple de tableau sommaire des prévisions pour un fournisseur de matériel grand public
Lien vers les modèles sur Google Sheets.
Utilisation des prévisions
Une fois que vous êtes satisfait des cibles de votre scénario de référence, insérez vos prévisions dans votre logiciel de production de rapports, accompagnées des états financiers mensuels, du tableau de bord des indicateurs de rendement clé et de vos rapports au conseil. Faites le suivi des écarts, évaluez leurs implications pour le prochain trimestre et le reste de l’exercice et prenez des mesures d’adaptation dynamiques.