Maximiser la création de valeur des sociétés orientées API

En cette ère de croissance axée sur les produits, les API (interfaces de programmation d’applications) et les infrastructures n’obtiennent pas toute l’attention qu’elles méritent sur les marchés. Comme tout autre investisseur, nous sommes avides de produits intégrés et intuitifs dotés d’une interface utilisateur hors pair. Or, depuis six mois, nous cherchons à comprendre ce qui favorise l’émergence de sociétés orientées API (API First en anglais) multimilliardaires et ce qui distingue les chefs de file de ce créneau.

Il y a six mois, Smooch, une société orientée API dans laquelle a investi Inovia, a été acquise par Zendesk. L’aventure Smooch nous a amenés à réfléchir aux subtilités inhérentes à l’émergence de champions dans ce segment. Nous avons tiré des leçons nous-mêmes, mais aussi en assistant à des conférences et en regardant des vidéos YouTube dans lesquelles des magnats des technologies expliquent comment ils ont mis sur pied des entreprises dominantes. Tous ces constats ont été mis à l’épreuve lors de conversations avec la prochaine génération de sommités du secteur. Nous espérons que vous les trouverez aussi utiles que nous!

Constats sur la création de sociétés orientées API multimilliardaires

La notion d’accès modulaire aux infrastructures essentielles aux activités de base d’une entreprise n’a rien de nouveau : Amazon Web Services (AWS) et l’essor de l’infonuagique comme solution de rechange aux serveurs physiques ont été à l’origine de la première vague de sociétés orientées API. Ce type d’accès a ensuite fait son entrée dans bien d’autres secteurs, que ce soit le traitement des paiements (Stripe, Ayden), les télécommunications (Twilio, MessageBird), les outils de recherche (Algolia, Coveo) ou les données bancaires (Yodlee, Plaid).

Nous croyons en l’existence d’un effet circulaire entre expansion et fragmentation susceptible d’entraîner la multiplication des sociétés orientées API. À mesure que les API émergent et modularisent l’accès aux fonctions essentielles des organisations, les économies d’échelle générées diminuent, tout comme les frais de démarrage des entreprises de logiciels. Les nouveaux joueurs tirent parti de la situation et certains d’entre eux modularisent l’accès à d’autres infrastructures essentielles, ce qui perpétue le cycle. En d’autres mots, il y a une réduction graduelle des frais de démarrage (et de développement) d’une entreprise grâce à AWS et Google Cloud, et les géants orientés API comme Twilio et Stripe offrent des services complémentaires à AWS.

Les sociétés orientées API se divisent en deux catégories : les entreprises directes et les entreprises intermédiaires. Une API directe offre un accès à un bien durable qu’elle détient à l’interne : c’est le cas d’AWS, de Stripe et de Scale AI. Les API intermédiaires (comme Plaid et Mulesoft) utilisent les données d’une multitude d’entreprises. J’associe généralement ce type d’API à une barre d’haltérophilie : l’API est en quelque sorte la tige du milieu qui donne accès à des données circulant entre au moins deux points.

Pour évaluer ce qui fait l’étoffe d’un chef de file de catégorie (et une catégorie digne d’intérêt), il faut analyser la création de valeur sous quatre grands angles.

1) Le problème en vaut-il la peine?

C’est l’une des questions cruciales qu’on se pose à tout coup. Au bout du compte, une entreprise doit régler un problème fondamental — et non un irritant mineur — pour le client afin de créer de la valeur à long terme. Les sociétés orientées API s’attaquent à trois problèmes précis qu’elles parviennent généralement à résoudre : la démocratisation, la complexité et la fragmentation. La démocratisation est le débouché le moins porteur, mais l’élimination de processus fastidieux pour les développeurs internes ou le fait de permettre à n’importe qui dans une organisation d’accomplir une tâche qui nécessitait auparavant une expertise technique apporte son lot d’avantages. Quant à la complexité, il s’agit généralement d’un élément techniquement difficile ou trop long à mettre au point en raison de contraintes ou de systèmes réglementaires, ou d’une simple difficulté technique hors norme. Enfin, la fragmentation s’applique aux entreprises intermédiaires : plus l’offre est abondante pour les parties en cause, plus le problème à régler est important.

2) Y a-t-il une conjoncture favorable? Comment détermine-t-on le moment propice pour investir?

Une conjoncture favorable créée par un vif engouement des investisseurs est un bon indice de valeur. Par exemple, Twilio a profité de l’hypercroissance des téléphones intelligents et Mulesoft, du virage infonuagique et de l’explosion du secteur des logiciels à la demande (SaaS).

Il ne faut pas non plus oublier les sommes que les clients investissent pour régler le problème eux-mêmes. Les coûts irrécupérables ne sont pas l’apanage des API, mais si le problème a peu d’importance (p. ex. démocratisation), l’analyse « développement versus achat » peinera sans doute à vaincre l’inertie d’une solution interne.

3) Le problème est-il trop important pour que le client le confie à un tiers?

La création d’une valeur actualisée nette (VAN) pour le client est un principe fondamental. La VAN n’est pas le propre de certaines organisations : dans toute entreprise, le rendement du capital investi doit être positif. Or, si la VAN est trop élevée, les clients des sociétés orientées API auront inévitablement intérêt à mettre au point une solution à l’interne. Pour évaluer cette dynamique, il faut déterminer à quel point le problème est au cœur de la philosophie du client en se posant la question suivante : l’élément en question est-il essentiel aux services et, sans lui, l’acheteur offrirait-il une expérie
nce nettement inférieure aux clients finaux? Ce facteur n’existe pas en vase clos. Une entreprise orientée API qui règle un problème très complexe sur le plan technique risque peu de voir ses clients développer une solution à l’interne, même si le problème est un pilier de leur modèle d’affaires. Le pouvoir de fixation des prix revient toutefois à l’acheteur plutôt qu’au fournisseur, et l’intensification de la concurrence risque de provoquer la banalisation du produit et l’effondrement des prix. De même, dans un marché qui évolue rapidement, le délai de lancement est parfois plus important que le coût pour les clients d’API, qui ne tardent généralement pas à adopter les solutions qui sont au cœur de leur philosophie. Lorsqu’ils se taillent une présence sur le marché et parviennent à un certain stade de croissance, la question du caractère fondamental par rapport au modèle d’affaires refait surface.

Il faut cependant noter que des entreprises comme Twilio ou MessageBird permettent à des sociétés comme Uber d’offrir une expérience plus conviviale aux clients, mais en l’absence d’outils de communication, la plaque d’immatriculation et l’indicateur de couleur dans le pare-brise suffisent à assurer le service.

4) Comment une entreprise peut-elle se doter d’un filet de protection?

Les sociétés orientées API risquent toujours d’être réduites à leur dimension purement utilitaire; elles doivent donc offrir une valeur ajoutée qui leur procurera un filet de protection. Même pour une entreprise très complexe confrontée à des défis techniques (p. ex. Scale AI) ou à des obstacles réglementaires (p. ex. Plaid), la banalisation est un scénario hypothétique, et non une question de temps. Nous verrons ici deux mécanismes de défense essentiels : les stratégies de différenciation et l’effet de réseau.

Les stratégies de différenciation influencent la conception du produit et le plan de marketing. Certaines entreprises (p. ex. Aydin, Algolia et Smooch) misent sur la convivialité pour inciter les gens à essayer leurs produits. D’autres joueurs (p. ex. Twilio, Stripe, New Relic) se concentrent plutôt sur l’expérience développeur afin de se positionner comme plateforme de référencement. Une autre stratégie consiste à axer le message de vente sur la valeur procurée aux clients finaux, en ciblant les cadres supérieurs qui encouragent l’adoption à tous les échelons de leur organisation (p. ex. MessageBird). Enfin, il y a le marketing de contenu qui met en valeur les clients et leurs témoignages d’utilisation : en l’absence d’expérience d’utilisation réelle du produit, il est utile de montrer l’expérience client (p. ex. Twilio, Zapier).

L’effet de réseau est habituellement évalué en fonction du nombre et de la qualité des intégrations. Il s’agit d’un avantage de courte durée, car les concurrents rattraperont inévitablement leur retard. L’effet de réseau est particulièrement vulnérable aux variations soudaines de l’offre, par exemple dans le cas de technologies révolutionnaires qui bouleversent les intégrations existantes au profit d’un nouveau groupe de partenaires d’intégration. Compte tenu de ces défis, nous sommes à la recherche de sociétés orientées API qui mettent à profit les données ou qui s’attaquent à des problèmes connexes afin d’offrir une valeur ajoutée. Ces services complémentaires misent sur les données qui passent par l’API.

Nous sommes emballés par l’émergence à venir de nombreuses sociétés orientées API, ainsi que la génération d’entreprises qui s’attaquent à la découverte, à la collaboration, à la sécurité, au suivi des résultats et à d’autres besoins découlant de la multiplication des sociétés dans ce segment. Si vous travaillez dans ce créneau ou si vous avez des commentaires à formuler sur ce texte, écrivez à [email protected].