Nous traversons une période de grande incertitude, une crise d’une ampleur jamais vue. Bon nombre d’entre vous ont sans doute eu des épreuves à traverser dernièrement, mais la situation actuelle est unique : on ne sait pas quand ni comment se terminera la pandémie. Certaines industries subissent des ravages à court terme, tandis que d’autres connaissent une forte croissance de leurs activités. Chose certaine, lorsque nous retrouverons un « semblant de normalité », ce que nous considérions comme des pratiques exemplaires et des comportements normaux aura en grande partie changé.
Cet article traite des considérations d’achat et de vente que les conseils d’administration et les équipes de direction doivent prendre en compte lors de la vente d’entreprises. Il se divise en deux parties distinctes : 1) les points à considérer par l’acheteur et 2) les points à considérer par le vendeur, qui découlent souvent de l’intérêt suscité.
Côté acheteur
Voici quelques pistes de réflexion sur les facteurs que doivent prendre en compte les entreprises qui sont en processus d’achat ou qui songent à procéder à une acquisition.
Ne vous en faites pas : les valorisations sont instables et vont sans doute baisser au cours du prochain trimestre ou des deux prochains jours.
1. Les valorisations étaient fluctuantes avant la COVID-19; les vendeurs devront donc attendre que la nouvelle réalité prenne forme et revoir leurs attentes. Et comme nous l’avons mentionné dans le document sur la gestion de la crise, vous devez continuer de réviser vos prévisions mensuelles afin d’améliorer votre veille concurrentielle. C’est le moment idéal pour approfondir votre analyse du marché et continuer de cartographier votre écosystème de concurrents et de cibles. Ce travail portera ses fruits plus tard dans le cycle et permettra à votre entreprise de rester en phase avec l’évolution de la conjoncture.
2. Dans la plupart des cas, je mettrais les acquisitions temporairement sur la glace, pour voir comment évolueront les valorisations et bien cerner les répercussions de la situation sur la cible. Profitez-en pour développer vos outils internes de fusions et acquisitions (F&A) : plan d’intégration, liste de vérification diligente à utiliser avant et après la remise d’une lettre d’intention, modélisation de fusion, etc.
3. Si une occasion en or se présente, songez à négocier une période d’exclusivité plus longue; vous pourrez ainsi être un témoin direct de l’évolution des résultats et des prévisions de la cible. La période d’exclusivité dure habituellement de 30 à 45 jours. Dans le contexte actuel, il ne serait pas inusité de demander 90, voire 120 jours.
Regardez aussi s’il serait possible d’acquérir des actifs plutôt que des actions. En général, les vendeurs souhaitent vendre des actions mais, dans bien des cas, vous pourriez mettre la main sur certains actifs plutôt que sur l’ensemble de la société, ce qui réduirait le risque d’intégration, le travail de vérification diligente et le prix d’achat, sans oublier les avantages fiscaux pour l’acheteur.
Que doit-on privilégier? Les actifs et relations de grande valeur et à faible risque.
La prudence est de mise, mais nous recommandons aussi de faire preuve d’initiative pour certains actifs de grande valeur.
1. Acquisition d’effectif. Évaluez vos besoins en effectifs et, si un « joueur étoile » est disponible pour un poste de direction névralgique, faites le nécessaire pour vous adjoindre ses services. Dans certains cas, il est aussi possible d’acquérir des équipes de talent juste pour leurs salaires, afin de combler rapidement un besoin stratégique.
2. Acquisition de propriété intellectuelle (PI). Une acquisition de PI peut être possible à une valorisation nettement inférieure à la valeur marchande et la vérification diligente peut être effectuée à distance.
3. Les meilleures transactions impliquent souvent un vendeur qui a déjà une relation de confiance ou de respect avec un acheteur potentiel. En plus d’être une source de renseignements stratégiques hors pair, cette relation étroite améliore les chances de réussite.
Important! Si vous n’avez pas d’expérience de F&A, ce n’est PAS le moment de vous lancer, même si la tentation est grande.
À mon avis, seules les entreprises qui ont déjà réalisé une transaction ou dont l’équipe de direction a effectué des acquisitions au sein d’une autre société devraient procéder à une acquisition en bonne et due forme, car l’intégration efficace d’une cible nécessite des compétences particulières. Voici quelques risques supplémentaires inhérents au contexte actuel :
1. La vérification diligente sera un exercice beaucoup plus délicat, car la plus grande partie du travail devra sans doute se faire par Zoom ou d’autres plateformes du genre. Si je me fie à mon expérience, rien ne vaut une réunion en personne ou une visite sur place pour obtenir un portrait fidèle de l’entreprise, et vous n’aurez probablement pas ce luxe. Une partie du travail peut être confiée à d’autres organisations, malgré les coûts supplémentaires, mais il est primordial de veiller à la sécurité du personnel tout en appliquant le niveau de diligence requis.
2. L’emplacement géographique continuera de jouer un rôle important dans le risque d’exécution. Plus la distance géographique est grande, plus le risque est élevé. Le profil de risque sera moindre si vous privilégiez les transactions potentielles à proximité.
3. Méfiez-vous particulièrement des risques d’épuisement des liquidités, sauf si votre situation de trésorerie vous le permet. Revoyez vos attentes à la baisse dans votre planification de l’intégration. En d’autres mots, soyez très modéré dans vos modélisations.
Côté vendeur
La plupart des acquisitions seront mises en veilleuse, surtout pour les entreprises qui continuent d’épuiser leurs liquidités ou qui n’ont pas atteint une taille suffisante. On continuera de voir des acquisitions stratégiques, mais à des valorisations inférieures à celles qui prévalaient il y a moins de 90 jours. Les acheteurs stratégiques se préoccuperont de leur positionnement, les sociétés de capital-investissement auront plus de mal à financer une partie du prix d’achat à l’aide de titres de créance et les investisseurs y penseront à deux fois avant de consentir des fonds supplémentaires aux entreprises de leur portefeuille, nouvelles ou existantes. Tous ces éléments auront une incidence importante sur les occasions à court et à moyen terme des vendeurs.
Si le passé est garant de l’avenir, lorsque la vie économique reprendra — et ce sera le cas –, l’activité d’acquisition reprendra également, mais les acteurs afficheront une certaine prudence au début. L’annonce des premières transactions risque de provoquer un vif engouement, car les acheteurs d’envergure tenteront de tirer des avantages stratégiques. À la lumière de ce qui précède, je propose les pistes de réflexion suivantes aux équipes de direction et aux conseils d’administration qui envisagent une vente.
Vous devez d’abord vous placer en position de force pour négocier.
1. Assurez-vous d’avoir une marge de manœuvre suffisante pour tenir jusqu’à la fin de 2021. Si vous venez de boucler une ronde de financement, c’est formidable, mais si vous n’avez pas eu cette chance, vous devez trouver un moyen d’accroître votre réserve de liquidités. Si vous êtes en mesure de mobiliser des capitaux, n’hésitez pas, pourvu que les modalités tiennent la route. Presque toutes les sociétés revoient leur structure de coûts et prennent des mesures énergiques pour réduire leurs effectifs en fonction de leurs prévisions révisées. Les coupures font mal, mais actuellement, c’est une question de survie. D’après mon expérience, il vaut mieux en faire un peu plus que nécessaire afin d’éviter une deuxième vague de compressions peu de temps après. La direction peut aussi en profiter pour se départir d’employés moins productifs.
2. Quoi qu’il en soit, assurez-vous de maintenir la motivation et le moral des troupes, en leur proposant notamment des activités sociales.
3. Si vous n’avez pas encore retenu les services d’une société spécialisée en F&A, il vaut mieux contacter un nombre limité de banques d’investissement pour connaître leur avis sur votre marché et leurs idées potentielles. Ce premier contact vous permettra de mieux les connaître et de sélectionner rapidement le meilleur partenaire pour représenter votre organisation. Ne signez aucune lettre de mandat, mais évaluez et comparez l’expertise de ces sociétés pour voir si vous pourriez collaborer étroitement avec l’une d’entre elles au moment opportun.
Continuez d’améliorer votre positionnement et vos relations au sein de votre écosystème.
1. Je l’ai déjà mentionné plus haut, mais je ne saurais trop insister sur ce point : les meilleures transactions impliquent un acheteur qui a déjà une relation existante avec une cible avant l’acquisition proprement dite. Lors de vos réunions de direction, discutez des conditions du marché, de la situation qui prévaut et de ses conséquences sur votre organisation, afin de dresser une liste des parties à approcher. Cette liste n’est pas immuable : elle évoluera à court et à moyen terme.
2. Mettez à jour votre site Web et tous vos comptes de médias sociaux. N’oubliez pas que, bien souvent, votre site Web sera la première chose qu’un acheteur potentiel verra et, s’il n’est pas à jour, vos énoncés de positionnement risquent d’être mal interprétés.
3. Faites-vous affaire avec une entreprise spécialisée en analyse de marché? Votre marché est-il inclus dans l’analyse menée? Les acheteurs d’envergure font souvent appel à ces entreprises pour relever les lacunes de leur feuille de route technologique; assurez-vous de leur faire connaître votre positionnement et vos facteurs de différenciation. Dans le cadre de cet exercice, la direction devrait revoir la feuille de route technologique de l’entreprise. Vous devez absolument vous concentrer sur les priorités qui amélioreront votre positionnement.
Soyez prêt à passer à l’action à tout moment.
1. Tenez votre chambre de données confidentielles à jour afin d’être prêt pour la reprise économique. Une chambre de données complète et bien organisée donne confiance aux acquéreurs et aux investisseurs potentiels.
2. C’est également un moment propice pour s’attaquer aux points qui risquent de poser problème lors d’une éventuelle vérification diligente. Songez à tout passer au peigne fin : vérifiez tous les dossiers des employés pour vous assurer qu’ils ont tous signé des ententes de non-concurrence et de cession de PI.
3. Restez en contact avec vos interlocuteurs. En pareilles circonstances, tout le monde préfère une équipe de direction qui tient les intéressés informés. Il y a aussi lieu de faire passer la fréquence des réunions du conseil d’administration à une par mois, pour que personne ne soit pris au dépourvu par des changements soudains ou des occasions qui se présentent.
Comme je l’ai mentionné au début — et comme vous le savez tous –, nous traversons clairement une période de turbulences. Au moment où j’écris ces lignes, de nombreux pays, états et provinces envisagent d’assouplir leurs restrictions. Et malgré les malheurs, les problèmes mis au jour par la pandémie créeront de nombreux débouchés. J’espère que cette réflexion vous a été utile. Si vous avez des questions, n’hésitez pas à m’écrire directement à [email protected].